03 Avr ACCIDENT DE LA CIRCULATION : QUOI FAIRE ?
ACCIDENT DE LA CIRCULATION : CADRE JURIDIQUE, EXPERTISE MEDICALE, PLAINTE ET INDEMNISATION
I. Cadre juridique
Les accidents de la circulation et leurs conséquences ne sont pas soumis aux règles de droit commun de la responsabilité civile mais à un régime spécifique issu de la loi dite Badinter du 5 juillet 1985.
Il convient de préciser les conditions d’application de cette loi :
–un véhicule terrestre à moteur : les remorques et semi-remorques sont également visées, sont toutefois exclus les moyens de transport sans moteur et les moyens de transport se déplaçant sur des rails,
–ce véhicule doit être impliqué : autrement dit, sans ce véhicule, l’accident ne se serait pas produit,
–une victime : l’article 2 de la loi prévoit que les victimes peuvent également être conducteurs,
–un accident : tout choc, collision, incendie, etc, provoqué par un véhicule à moteur en circulation entre dans le champ d’application de cette loi. Cet accident ne doit pas être volontaire (Cass civ, 2ème civ, 12 décembre 2002, n°00-17.433).
Le véhicule impliqué peut avoir été en contact direct avec la victime, dès lors la question de son implication ne pose pas de difficulté.
Cependant, cette implication doit être prouvée en cas d’absence de contact, le véhicule doit avoir jouer un rôle dans l’accident :
« Mais attendu qu’ayant retenu par des constatations souveraines qu’il était établi que M. W… avait perdu le contrôle de sa motocyclette au moment où il se rabattait sur sa voie de circulation et que c’est la présence du tracteur qui, alors qu’il était en action de fauchage, circulait à allure très réduite et empiétait sur la voie de circulation, l’avait contraint à cette manoeuvre de dépassement, la cour d’appel a exactement décidé que ce tracteur était impliqué dans l’accident » (Cass civ, 2è civ, 18 avril 2019, n°18-14.948).
Enfin, il convient de noter que le véhicule, même sans conducteur, peut être impliqué dans un accident s’il a joué un rôle dans sa réalisation :
« En statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que le scooter de M. [K] avait achevé sa course contre le véhicule de M. [R] et qu’il résultait de ses constatations que les collisions successives étaient intervenues dans un même laps de temps et dans un enchaînement continu, de sorte qu’elles constituaient un accident complexe, dans lequel ce véhicule était impliqué, la cour d’appel a violé le texte susvisé » concernant un conducteur éjecté de son scooter, le véhicule ayant poursuivi sa trajectoire (Cass civ, 2ème civ, 15 décembre 2022, n°21-11.423).
II. Organismes compétents pour indemniser
Les compagnies d’assurance du véhicule impliqué sont les acteurs principaux de l’indemnisation des accidents de la circulation.
Dans le cas où le véhicule impliqué n’est pas assuré, c’est le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de dommages (FGAO) qui sera compétent.
Ce Fonds est également compétent si le responsable de l’accident est inconnu ou insolvable.
III. Dépôt de plainte et déclaration de sinistre
Il convient, si cela est possible, après un accident de la circulation de récupérer les informations nécessaires à une prise en charge (plaque d’immatriculation, identité du conducteur, coordonnées, assurance etc).
La victime devra déclarer le sinistre à sa compagnie d’assurance afin de déclencher le processus de prise en charge.
Par ailleurs, la victime peut déposer plainte contre le responsable, ou s’il est inconnu contre X. Cela pourra déclencher une enquête afin de déterminer les circonstances exactes de l’accident, voire déclencher un procès pénal.
L’intérêt de cette plainte pourra être discuté avec un avocat.
IV. Expertise médicale
L’expertise médicale a pour objectif d’identifier tous les dommages subis par la victime de l’accident, de les classer selon les postes de préjudices prédéfinis et de les quantifier.
Cette expertise servira de fondement de la demande d’indemnisation.
L’expertise peut être amiable, c’est-à-dire que l’assureur du véhicule responsable prendra contact avec la victime afin de la mettre en place.
Elle peut également être judiciaire, la victime demandera alors au juge civil ou pénal une expertise aux fins de déterminer ses préjudices (par le biais d’un référé expertise auprès du tribunal judiciaire ou de conclusions aux fins d’expertise devant le juge pénal).
Il convient pour la victime de conserver tous les documents liés à l’accident et à ses conséquences notamment médicales (certificats médicaux ou d’hospitalisation, arrêts de travail, ordonnances, radiographies etc).
La victime peut se faire assister lors de cette expertise par un avocat et un médecin conseil de victimes.
Il est recommandé de se faire assister, car l’expert est désigné et payé par l’assurance du véhicule impliqué.
IMPORTANT : Le médecin conseil a pour rôle de veiller à ce que tous les dommages de la victime aient été pris en compte par l’expert, et à défendre ses intérêts.
La victime est libre de choisir son médecin conseil.
Ce médecin assiste pleinement la victime par une préparation des documents et de la victime en vue de l’expertise, puis d’une assistance lors de l’expertise (il est garant du respect du contradictoire, peut aider la victime à s’exprimer et veille à ce qu’il n’y ait pas d’oubli).
Ce médecin sera particulièrement utile lorsque les connaissances médicales nécessaires à l’expertise sont très avancées.
Le rôle de l’avocat sera également de préparer la victime et son dossier, notamment lorsqu’un médecin conseil ne pourra pas être mandaté.
Il rassure la victime par sa présence lors de cette expertise.
La présence de la victime à cette expertise est obligatoire et tous les dommages devront être évoqués (physiques, psychologiques, conséquences sur le travail, sur la vie quotidienne, suivi médical etc).
Un rapport d’expertise sera par la suite envoyé à la victime ou à son avocat, permettant le chiffrage de son préjudice.
V. Chiffrage du préjudice
Le chiffrage est une étape complexe réalisée à l’aide de la Nomenclature Dintilhac, un barème de référence dans l’indemnisation des victimes pour chaque poste de préjudice.
Ce chiffrage doit être réalisé par un avocat spécialisé dans le préjudice corporel, car la matière est technique.
Il devra prendre en compte deux périodes de temps : la période avant consolidation et la période à partir de la consolidation.
La consolidation est généralement définie comme le moment où les lésions se sont fixées et ont pris un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire si ce n’est pour éviter une aggravation, et qu’il devient possible d’apprécier l’existence éventuelle d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique.
Les postes de préjudices indemnisés sont les suivants :
- Préjudices patrimoniaux temporaires
–Dépenses de santé actuelles : tous les frais de santé engagés ayant un lien de causalité avec l’accident devront être intégralement indemnisés (sur présentation de justificatifs),
–Frais divers : tous les frais qui ne seront pas pris en charge par les organismes sociaux mais ayant un lien de causalité avec l’accident devront également être indemnisés sur présentation de justificatifs (par exemple frais de transport pour se rendre à l’hôpital ou voir un médecin, aide par une tierce personne etc),
–Perte de gains professionnels actuels : toute perte de rémunération liée à l’accident devra être indemnisée sur présentation d’arrêts de travail. Le médecin prescrivant ces arrêts devra établir un lien entre l’arrêt et l’accident.
- Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)
–Dépenses de santé futures : il s’agit d’indemniser les frais de santé qui seront occasionnés par l’état de la victime une fois la consolidation établie, afin d’éviter une aggravation de son état. Ces frais doivent avoir un lien de causalité avec l’accident et peuvent être permanents ou occasionnels. Les soins permanents feront l’objet d’une indemnisation par voie de rente viagère,
–Frais de logement et de véhicule adapté : la victime peut devoir réaliser des aménagements de son logement en adéquation avec son handicap issu de l’accident (installation de barres de soutien, installation d’une douche à la place d’une baignoire, changement de lit etc). Elle peut également devoir changer de véhicule (passage d’un véhicule à boite manuelle à un véhicule à boite automatique),
–Aide par une tierce personne : la nécessité d’une assistance par une tierce personne à vie ne peut être laissée à la charge de la victime et devra être indemnisée. L’expert évaluera le nombre d’heures nécessaires (par jour, semaine ou mois) qui établira, avec le cout horaire, l’indemnisation,
–Perte de gains professionnels futurs et incidence professionnelle : il conviendra d’indemniser la victime en cas d’obligation de changer de travail, de reclassement professionnel, de débuter une nouvelle formation, en cas de dévalorisation sur le marché ou d’incidence sur la retraire en raison de l’accident. Sans cet accident, la victime aurait pu obtenir tel travail, elle aurait pu garder son travail, elle aurait conservé sa rémunération antérieure etc. La perte de chance pour une personne sans profession au moment de l’accident sera également indemnisée,
–Préjudice scolaire, universitaire, de formation : toute perte d’année de formation ou toute réorientation fera l’objet d’une indemnisation s’il existe un lien avec l’accident.
- Préjudices extrapatrimoniaux temporaires
–Déficit fonctionnel temporaire : les périodes de troubles et de gêne dans la vie courante seront indemnisées. L’expert attribuera des périodes, puis la moitié du smic sera attribué par jour contenu dans ces périodes, en fonction du % de déficit (par exemple, un déficit à 25% pendant 10 jours en 2023 : 10 x (25% de 31 euros) = 77,5 euros),
–Souffrances endurées : l’expert évalue les souffrances physiques et morales sur une échelle à 7 degrés, puis un barème donne une fourchette correspondant à chaque palier de cette échelle :
–Préjudice esthétique temporaire : l’état physique est altéré par l’accident et la victime souffre de l’image qu’elle renvoie. La nature des séquelles, leur localisation, leur étendue et la durée des doléances permettra l’évaluation de cette souffrance sur une échelle à 7 degrés également,
- Préjudices extrapatrimoniaux permanents (après consolidation)
–Déficit fonctionnel permanent : la gêne et les troubles sont définitifs et engendrent une perte de potentiel physique, une perte d’autonomie, des douleurs et des répercussions psychologiques liées. L’indemnisation dépendra d’une valeur à point fixée par l’expert. Le montant de l’indemnisation augmente avec la valeur et le jeune âge de la victime,
–Préjudice d’agrément : la victime ne peut plus pratiquer d’activités sportives ou profiter de ses loisirs antérieurs à l’accident, que ce soit pour des raisons physiques ou morales,
–Préjudice esthétique permanent : la victime souffre de l’image qu’elle renvoie aux autres du fait de l’accident de manière définitive (par exemple : cicatrice sur une partie visible du corps, perte d’un membre, utilisation permanente de cannes etc), la souffrance est évaluée sur l’échelle à 7 degrés,
–Préjudice sexuel : l’acte sexuel est totalement ou partiellement impossible du fait de l’accident, en raison d’une atteinte morphologique, d’une impossibilité ou difficulté à procréer, ou d’une perte de plaisir lié à l’acte sexuel,
–Préjudice d’établissement : la perte d’espoir d’avoir une famille ou une vie « normale » sera également indemnisée en fonction de l’âge et des montants habituellement retenus par la jurisprudence,
–Préjudices permanents exceptionnels : ce préjudice sera lié à une particulière gravité de l’accident (en cas d’attentat).
VI. Indemnisation par voie amiable
Une fois les préjudices chiffrés, la victime et la compagnie d’assurance peuvent s’entendre par voie amiable sur le montant de l’indemnisation, afin d’éviter la voie judiciaire.
L’article 12 de la loi Badinter prévoit que l’assurance du véhicule impliqué doit faire une proposition d’indemnisation dans les huit mois suivants l’accident, et dans les cinq mois suivants la date de consolidation de l’état de la victime.
Il convient de noter que ce délai s’impose à l’assureur, qui sera soumis à une pénalité s’il ne le respecte pas conformément à l’article 16 de la même loi :
« le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge à la victime produit intérêt de plein droit au double du taux de l’intérêt légal à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif ».
La victime aura la possibilité d’accepter ou de refuser l’offre d’indemnisation, mais elle pourra aussi faire une contre-proposition.
Ces étapes peuvent nécessiter l’assistance d’un avocat, car les compagnies d’assurance auront tendance à diminuer l’indemnisation au maximum.
L’acceptation de l’offre de la compagnie d’assurance met fin à toute procédure.
En cas d’échec de la négociation, l’affaire pourra être portée devant la juridiction.
VII. Indemnisation par voie judiciaire
Deux voies sont ouvertes à la victime d’un accident de la circulation afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.
La voie civile : la victime pourra saisir le tribunal judiciaire aux fins d’obtenir une expertise si cela n’a pas été prévu par l’assureur, demander le versement de provisions, puis demander la liquidation définitive des préjudices dès lors que la victime sera consolidée.
Il convient de préciser que devant le juge civil, la procédure est écrite, de sorte que tout ce que la victime n’aura pas écrit ne pourra pas être demandé.
L’assistance d’un avocat est obligatoire.
La voie pénale : la victime peut se constituer partie civile et demander des dommages et intérêts à l’occasion du procès pénal.
VIII. Délais de recours
La loi Badinter et l’article 2270-1 du Code civil prévoient que la victime dispose d’un délai de 10 ans pour agir aux fins de réparation du préjudice corporel devant le Tribunal judiciaire.
Le point de départ de ce délai est la consolidation de l’état de la victime directe, pour cette dernière comme pour les victimes indirectes (article 2226-1 du Code civil ; Cass civ, 2è civ, 3 novembre 2011, n°10-16.036).
IX. Les proches de la victime peuvent-ils être indemnisées ?
Les proches de la victime blessée ou décédée peuvent en effet demander réparation pour leur préjudice moral (ou préjudice d’affection) et économique (perte de revenus, frais d’hospitalisation, d’obsèques, de déplacement et d’hébergement pour visiter la victime blessée etc).
Un préjudice de deuil pathologique peut également être indemnisé dans le cas où la souffrance issue de la perte d’un être cher est si importante qu’elle nécessite une indemnisation indépendante.
Ce préjudice peut se cumuler avec le préjudice d’affection (Cass crim, 2 avril 2019, n°18-81.917).
Il appartiendra à la victime indirecte de prouver son lien particulier avec la victime (famille ou amis, voisins, parents éloignés …).
Ces preuves pouvant être diverses (photos, événements, emails, messages, réseaux sociaux …).