12 Août GARDE A VUE / LA VALIDITÉ DES PROPOS D’UNE PERSONNE PLACÉE EN GARDE À VUE AVANT LA NOTIFICATION DE SES DROITS
Ne peuvent être retranscrites dans les PV les propos d’une personne placée en garde à vue précédant la notification de son droit au silence.
Cass.crim., 22 novembre 2023, n° 23-80-575
- Rappel des faits
Le 5 octobre 2021 Monsieur K et Monsieur O, respectivement chauffeur et client, se sont fait interpellés par des fonctionnaires de police. Cependant, ces individus n’ont dans l’instant pas cru qu’il s’agissait de représentants de l’autorité mais au contraire de passants mal intentionnés tentant de s’en prendre à eux. Le client demande donc au chauffeur d’accélérer, pour fuir. Dans leur fuite ils écrasent un fonctionnaire de police ayant tentés de les interpeller avant d’être intercepté.
Placés en garde à vue notamment pour ce motif : tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique, Monsieur O s’étonne et fait part aux agents lui notifiant ces droits de la crainte d’une agression par des individus malintentionnés au moment des faits et non des forces de polices.
L’enquêteur retranscrit ces propos dans un procès-verbal de renseignement. Or, à ce moment-là Monsieur O n’avait pas encore été informé de son droit de garder le silence : s’agit-il donc d’une violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, préliminaire et 63-1 du code de procédure pénale ?
- Rappel de la procédure en la matière : l’article 803-6 du code de procédure pénale
- Principes
L’article 803 du code de procédure pénal rappelle que toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté – une garde à vue – a le droit » lors des auditions ou interrogatoires, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ».
Le gardé à vue doit être informé de ces droits dès le début de la garde. En effet, la notification constitue la première étape du déroulement de la garde à vue.
1.2 Nuances
L’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme prévoit que tout accusé a le droit d’être informé dans les plus court délais de ses droits, d’une manière détaillée de la nature de l’accusation portée contre lui ainsi que de la cause de cette accusation.
L’article 63-1 prévaut par ailleurs que l’omission, lors de la notification du gardé à vue, d’une partie des faits qu’il est soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre ne peut entraîner une nullité que si les propos prononcés portent atteinte à ses intérêts.
C’est en se basant sur le caractère incriminant des propos que la Cour de Cassation est en mesure de s’assurer que les réponses aux questions des enquêteurs ne portaient pas atteintes aux intérêts du prévenu.
- Une réponse favorable de la Cour de Cassation
La réclamation de l’annulation du procès-verbal par un prévenu avant toute défense de fond, faute d’avoir été notifié de son droit de se taire n’entraîne pas une modification de la situation juridique du prévenu. Cependant, la Cour répond que tant qu’une raison impérieuse tenant aux circonstances n’a pas été prononcée, avérée, décrétée, le recueil des déclarations spontanés de Monsieur O n’avait pas lieu d’être. L’enquêteur ne pouvait donc retranscrire les propos dans le procès-verbal de renseignement ou dans aucun autre procès-verbal.
- L’impact de l’arrêt du 5 janvier 2023
L’arrêt de la cour d’appel de Nancy n’a pas été cassé par la Cour de Cassation car la culpabilité des prévenus n’était ni uniquement ni majoritairement fondée sur les propos du prévenu avant la complète notification de ces droits, notamment celui de se taire. En outre, les propos tenus par le prévenu n’étant pas de nature à l’incriminer ni à permettre la recherche d’une personne en péril, la Cour a décidé de soutenir la décision de la juridiction souveraine de Nancy. En effet, les charges retenues contre les prévenus étaient d’une autre nature que celles dont ils demandaient l’annulation (trafic de stupéfiants).
- La difficile consécration du principe de la nullité relative de certains actes de la procédure pénale
L’arrêt du 23 avril 1991 de la Cour de Cassation expose d’autres éléments qui réaffirment la difficulté de l’aboutissement du principe de la nullité de la procédure suite à l’absence de notification des droits ou à une notification partielle. En effet, la cour d’appel, après avoir fait droit à la demande d’annulation du gardé à vue, peut énoncer que la convocation par OPJ – officier de police judiciaire – devant le tribunal correctionnel constitue un acte différent de la garde à vue qui ne saurait être atteint des irrégularités réalisées lors de la mesure coercitive. La cour a donc une autre pièce sur laquelle fonder sa décision, l’absence de la notification des droits lors de la garde à vue ne saurait entraîner la nullité de l’intégralité de la procédure.
POUR ALLER PLUS LOIN
Vis-à-vis de la réponse de la Cour de Cassation
Il est nécessaire de garder à l’esprit que tant que la Cour de Cassation est en mesure d’assurer que la cour d’appel s’est appuyée sur d’autres éléments que le seul procès -verbal faisant état des propos tenus avant la notification complète des droits lors de l’audience en garde à vue pour condamner le prévenu.
En outre, la chambre d’instruction n’est pas dans l’obligation d’annuler une garde à vue lorsque le prévenu ne s’est pas vu notifier son droit de garder le silence ou de se faire assister d’un avocat au début de la restriction de liberté, si la non notification de ce droit a été sans incidence sur la spontanéité des propos de l’intéressé tant qu’ils avaient une finalité de rechercher une personne en péril.
Par ailleurs il est important de rappeler que certaines circonstances sont insurmontables et ne peuvent donc pas faire l’objet du principe de nullité pour non notification des droits, notification tardive ou notification partielle. L’une de ces circonstances est la circonstance insurmontable d’ébriété sur laquelle jurisprudence a eu l’occasion de statuer: “Aucune nullité ne saurait résulter de la notification tardive des droits du gardé à vue, la cour d’appel ayant caractérisé la circonstance insurmontable puisque l’alcoolémie diminuant de 0,10 à 0,15 grammes par litre de sang par heure écoulée, le délai de plus de quatorze heures respecté par les enquêteurs étaient nécessaires pour que la personne concernée soit en mesure de comprendre ses droits” (Crim. 6 déc. 2016 n°15-86. 619).
Pour approfondir le principe de nullité nous vous recommandé notre article Nullité/ La nullité en matière pénale.