L’OBLIGATION DE JUSTIFIER SA SAISINE DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES

L’OBLIGATION DE JUSTIFIER SA SAISINE DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES

Le décret n°2016-660 du 20 mai 2016, dit « décret MACRON », impose une obligation supplémentaire de justification de sa saisine aux demandeurs

 

Avant 2016, les demandeurs devant le Conseil des prud’hommes, salariés pour la majorité, pouvaient saisir le Conseil avec une requête brève.

Il n’était pas requis une argumentation complète.

Depuis ce décret n°2016-660 du 20 mai 2016, l’article R.1452-2 du Code du travail a évolué vers une nécessité de justifier sa demande.

  1. Que doit comporter la saisine du Conseil des prud’hommes ?

L’article R.1452-2 du Code du travail, tel que modifié depuis le décret n°2016-660 du 20 mai 2016 en son article 8, prévoit que :

« La requête est faite, remise ou adressée au greffe du conseil de prud’hommes.

Elle comporte les mentions prescrites à peine de nullité à l’article 57 du code de procédure civile. En outre, elle contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. Elle est accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l’appui de ses prétentions. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.

La requête et le bordereau sont établis en autant d’exemplaires qu’il existe de défendeurs, outre l’exemplaire destiné à la juridiction ».

La mention à un « exposé sommaire des motifs de la demande » et « chacun des chefs de celle-ci » fait donc obstacle à une simple demande envoyée au Conseil de prud’hommes mais suppose des mentions obligatoires et notamment une précision dans la demande et sa motivation.

L’article 57 du Code de procédure civile renvoie quant à lui à l’article 54, qui prévoit :

« A peine de nullité, la demande initiale mentionne :

1° L’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;

L’objet de la demande ».

Ces différents articles prévoient donc l’obligation pour le demandeur de motiver sa demande.

A la façon du droit civil, le droit prud’hommale s’est donc doté d’une obligation de de motivation pesant sur le demandeur.

En effet, la jurisprudence civile constante exige l’exposé des moyens de droit et de fait dans les actes de saisine (CA de PARIS, 17 janvier 2024, n°23/03728) :

« En application de l’article 916 du code de procédure civile, la requête, remise au greffe de la chambre à laquelle l’affaire est distribuée, contient, outre les mentions prescrites par l’article 57 et à peine d’irrecevabilité, l’indication de la décision déférée ainsi qu’un exposé des moyens en fait et en droit ».

Cette obligation ne pèse pas seulement lors de la saisine, mais pèse également dans le cadre des conclusions fournies tout au long de la procédure, comme le prévoit le nouvel article R.1453-5 du Code du travail :

« Lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, elles sont tenues, dans leurs conclusions, de formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées ».

En conclusions, il est impératif désormais de préciser sur quel texte juridique se fonde la demande et sur quel élément de fait (et donc sur quelle pièce).

 

  1. La critique de cette modification

Il a été reproché à ce décret de faire peser une charge trop lourde sur les salariés qui sont pourtant censés pouvoir se présenter seuls devant la juridiction, l’avocat n’étant pas obligatoire.

Il a également été reproché à ce décret de rompre l’égalité entre les salariés et les employeurs (majoritairement en défense), car l’article R. 1452-2 du Code du travail impose au demandeur une motivation supplémentaire qui n’est pas sollicité du défendeur.

Le Conseil d’Etat a répondu ces critiques (CE, 6ème et 5ème chambres réunies, 30 janvier 2019, n°401681) :

« 13. Les obligations nouvelles, prévues par l’article 8 du décret attaqué, à la charge du justiciable qui entend présenter une requête devant le conseil de prud’hommes, permettent d’assurer l’information immédiate des parties et de la juridiction sur les données du litige et concourent, par suite, à la bonne administration de la justice. De telles obligations ne portent d’atteinte excessive ni au droit d’accès au juge ni au droit à un procès équitable garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Si, selon les requérants, ces formalités peuvent représenter une contrainte particulière pour certains justiciables, lesquels peuvent, au demeurant, être assistés ou représentés, en application de l’article R. 1453-2 du code du travail, par un autre salarié, un conjoint, un défenseur syndical ou un avocat, l’article 8 du décret attaqué ne méconnaît pas le principe d’égalité entre les justiciables.

  1. En deuxième lieu, le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que l’autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’elle déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un comme l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la norme qui l’établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

    15. Si l’article R. 1452-2 du code du travail impose au demandeur de produire avec sa requête les pièces qu’il souhaite présenter à l’appui de ses prétentions, l’article R. 1452-3 du même code se borne à prévoir que le greffe invite le défendeur à déposer ou à lui adresser les pièces qu’il entend produire. L’obligation ainsi faite au demandeur est destinée, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, à faciliter la mise en état et le traitement des affaires par la juridiction prud’homale. Une telle obligation n’est, toutefois, pas prescrite à peine de nullité. Il résulte, par ailleurs, de l’article L. 1454-1-2 du code du travail que les conseillers rapporteurs prescrivent au demandeur comme au défendeur toutes mesures nécessaires pour que l’affaire soit en état d’être jugée. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu’en soumettant les demandeurs et les défendeurs à des règles différentes en matière de production de pièces, les dispositions de l’article 8 du décret attaqué méconnaîtraient le principe d’égalité».

Il ressort de cette décision que :

-l’obligation de motiver sa saisine du Conseil de prud’hommes a pour objectif une bonne administration de la justice et de permettre à chacun dès le début de la procédure d’en comprendre les aspects (et donc de se défendre) ;

-il n’existe pas d’inégalité avec les défendeurs, qui ont aussi une obligation de fournir leur argumentation, mais sans peine de nullité car ils subissent la procédure mais ne l’ont pas initié.

Il faut en comprendre que l’objectif de cet article est d’éviter les saisines infondées ou fantaisistes.

 

  1. Que faire, en tant que défendeur, en cas de mentions incomplètes ?

L’article 54 du Code de procédure civile prévoit que l’absence de l’objet de la demande entraine la nullité de celle-ci.

La jurisprudence civile constante exige en effet l’exposé des moyens de droit et de fait dans les actes de saisine (CA de PARIS, 17 janvier 2024, n°23/03728) :

« En application de l’article 916 du code de procédure civile, la requête, remise au greffe de la chambre à laquelle l’affaire est distribuée, contient, outre les mentions prescrites par l’article 57 et à peine d’irrecevabilité, l’indication de la décision déférée ainsi qu’un exposé des moyens en fait et en droit.

(…)

Il reste que le non respect des articles 54 et 57 du code de procédure civile auquel l’article 916 renvoie est sanctionné par la nullité et non par l’irrecevabilité ».

Il conviendra donc de vérifier que ces moyens existent, et en cas d’absence, de soulever « in limine litis » (c’est-à-dire avant toute demande au fond) la nullité de la saisine.

ATTENTION : l’article 114 du Code de procédure civile prévoit que :

« La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public ».

La simple demande de nullité ne suffira donc pas.

Il convient d’expliquer au Conseil de prud’hommes en quoi cette saisine et l’absence d’objet vous a fait grief, c’est-à-dire que cela atteint vos intérêts légitimes.