19 Juin PREJUDICE CORPOREL / Que faire en cas de dommages corporels ?
Les étapes pour qu’une victime d’un dommage corporel obtienne indemnisation
En matière de responsabilité civile, le dommage est l’une des conditions nécessaires pour obtenir une indemnisation. Celui-ci peut être corporel, matériel et/ou moral. Le dommage corporel est l’atteinte portée à l’intégrité physique d’une personne. Pour pouvoir donner lieu à une indemnisation, le dommage doit être certain, direct et personnel.
En droit de la responsabilité civile, il existe un principe fondateur qui est celui de la réparation intégrale du préjudice. Ainsi, l’auteur des faits doit indemniser intégralement le dommage et rien que le dommage c’est-à-dire sans qu’il ne résulte un appauvrissement ou un enrichissement pour la victime. Ce principe découle de l’article 1240 du Code civil selon lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
C’est sur la base de ce principe que sera effectué le calcul de l’indemnisation afin que celle-ci corresponde à la réalité du préjudice subi par la victime.
Dans cet article, seront listées les différentes étapes pour obtenir une indemnisation en cas de dommages corporels.
1.Faire constater le dommage
La victime doit faire constater son dommage par un médecin. Il peut s’agir d’un médecin libéral ou encore d’un service d’urgence. Le certificat médical établi par ce médecin mentionnera les dommages subis par la victime et les éventuelles ITT.
2.La désignation de l’avocat et du médecin-conseil
- Le rôle de l’avocat :
En cas de dommages corporels, la victime a intérêt à se faire assister par un avocat qui l’assistera tout au long de la procédure pour défendre ses intérêts. En outre, l’avocat aura pour rôle de qualifier juridiquement les constatations médicales et d’évaluer les préjudices subis par la victime.
- Le rôle du médecin-conseil :
De la même manière que l’avocat, le médecin-conseil assiste et défend les intérêts de la victime tout au long de la procédure et notamment lors de l’expertise médicale. Lors de cette expertise, il prendra soin de vérifier que l’ensemble des préjudices subis par la victime soient pris en compte.
- Constituer un dossier médical
Pour pouvoir être indemnisé, la victime doit constituer un dossier médical. Celui-ci doit être le plus complet possible. Ce dossier médical est constitué de l’ensemble des documents permettant de prouver les circonstances dans lesquels le dommage s’est produit ainsi que les conséquences de celui-ci.
Il peut notamment être constitué des pièces justificatives suivantes :
- Certificat médical
- Compte rendu d’hospitalisation
- Correspondance entre médecins
- Procès-verbaux
- Photographies des blessures
- Arrêt de travail
- Attestation de témoin
- Justificatif relatif à la situation familial (ex : livret de famille)
- Activité sportive ou de loisirs réalisés antérieurement à la survenance du dommage
A ce stade, le rôle de l’avocat et du médecin-conseil est essentiel car ils aident la victime afin de lui permettre de constituer le dossier médical le plus complet.
3.La réalisation d’une expertise
Cette étape est cruciale dans l’évaluation du préjudice car l’expert va déterminer l’étendue du dommage et déterminer si les préjudices sont en lien avec le dommage. Cet expert est désigné par le juge.
La demande doit être faite par le biais d’un référé :
- Devant les juridictions pénales si les faits sont constitutifs d’une infraction pénale (articles 156 et suivants du Code de procédure pénale)
- Devant les juridictions civiles si l’auteur des faits est un sujet de droit civil (articles 263 et suivants du Code de procédure civile)
- Devant les juridictions administratives si l’auteur du dommage est un préposé d’un organisme public (articles R621-1 et suivants du Code de justice administrative)
L’expert a l’obligation de répondre aux questions de la mission (articles 238 du Code de procédure civile, 161 du Code de procédure pénale et R621-9 du Code de justice administrative). Ainsi, le rôle de l’avocat est essentiel car il sera chargé d’exposer de façon précise les questions qu’il souhaite poser à l’expert.
En outre, au cours de cette expertise, la présence du médecin-conseil est fondamentale pour défendre au mieux les intérêts de la victime et s’assurer que l’ensemble des préjudices soient pris en compte sans les imputer à un état antérieur.
A l’issue de cette expertise, l’expert va remettre un rapport. C’est sur la base de ce rapport que l’avocat va procéder au chiffrage des préjudices.
4.L’évaluation des préjudices subis par la victime
Le dommage fait naître des préjudices patrimoniaux et/ou extrapatrimoniaux. Les préjudices patrimoniaux représentent la perte subie ou le gain manqué. Les préjudices extrapatrimoniaux englobent les atteintes portées à un intérêt qui n’est pas pécunier, donc à un intérêt moral.
Ces différents postes de préjudices ont été regroupés au sein de la nomenclature Dintilhac. Cette liste, non exhaustive, n’a aucune valeur normative mais est cependant utilisée par les tribunaux ainsi que par les experts.
Cette nomenclature effectue une distinction entre les préjudices temporaires (avant consolidation) et permanents (après consolidation) :
- Les préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
- Dépenses de santé : il s’agit des frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux et pharmaceutiques et assimilés qui ont été à la charge de la victime avant la consolidation.
- Pertes de gains professionnels : il s’agit des répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime jusqu’à sa consolidation.
- Assistance temporaire par tierce personne : ce poste comprend les dépenses qui visent à indemniser le coût pour la victime de la présence nécessaire d’une tierce personne pour l’assister de manière quotidienne du jour de l’accident jusqu’à la consolidation.
Il est important de préciser que l’assistance bénévole, même d’un membre de la famille, n’exclut pas l’indemnisation de ce préjudice. C’est ce qu’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 22 mai 2019 (Civ 1ère, 22 mai 2019, n°18-14.063).
De plus, les juges de la Haute Cour ont pris le soin de rappeler que ce poste de préjudice englobe l’assistance dans les actes de la vie quotidienne mais également l’assistance dans la sphère professionnelle.
- Frais divers : ce poste vise à indemniser les frais susceptibles d’être exposés par la victime avant la date de consolidation (ex : honoraires des médecins, frais de transports…).
- Les préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)
- Dépenses de santé : ce poste comprend les frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels, postérieurs à la consolidation de la victime.
- Frais de logement adapté : il s’agit des frais qui sont à la charge de la victime pour adapter son logement à son handicap ou des frais liés à l’acquisition d’un logement mieux adapté après la consolidation.
- Frais de véhicule adapté : ce poste de préjudice vise à indemniser les dépenses nécessaires pour procéder à l’adaptation d’un véhicule aux besoins de la victime atteinte d’un handicap permanent.
- Assistance permanente par tierce personne : elle concerne les dépenses qui visent à indemniser, le coût pour la victime de la présence nécessaire d’une tierce personne pour l’assister de manière quotidienne après la consolidation.
- Perte de gains professionnels : elle vise à indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l’incapacité permanente, partielle ou totale, à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle (ex : perte de l’emploi, emploi exercé à temps partiel…).
Par un arrêt rendu le 24 juillet 2019 (n°4086624), le Conseil d’Etat a considéré que la victime qui se trouve privée de toute possibilité d’exercer un jour une activité professionnelle en raison d’un accident corporel survenu dans son jeune âge, peut obtenir une indemnisation au titre de la perte de gain professionnel.
La seule circonstance qu’il soit impossible de déterminer le parcours professionnel qu’elle aurait suivi ne fait pas obstacle à ce que soit réparé le préjudice qui doit être regardé comme présentant un caractère certain résultant de la perte des revenus qu’une activité professionnelle lui aurait procuré et de la pension de retraite consécutive.
- Préjudice scolaire, universitaire ou de formation : ce poste a pour objet de réparer la perte d’année(s) d’études scolaires, universitaires, de formation ou autre consécutive à la survenance du dommage (ex : retard dans l’apprentissage, modification d’orientation…).
- Préjudice extrapatrimoniaux temporaires (avant consolidation)
- Déficit fonctionnel temporaire : il a pour objet d’indemniser l’incapacité totale ou partielle subie par la victime dans sa sphère personnelle du jour de l’accident jusqu’à la consolidation (ex : périodes d’hospitalisation, perte de la qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante…).
- Souffrances endurées temporaires : ce poste comprend l’indemnisation de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime du jour de l’accident jusqu’à celui de la consolidation.
Il est important de préciser que la Cour de cassation considère que l’état d’inconscience de la victime n’est pas de nature à réduire ou à exclure le préjudice résultant des souffrances endurées (Cass. crim, 25 juin 2019, n°18-82.655).
- Préjudice esthétique temporaire : il vise à indemniser les conséquences de l’altération de l’apparence physique temporaire de la victime.
- Préjudice extrapatrimoniaux permanents (après consolidation)
- Déficit fonctionnel permanent : ce préjudice est relatif à l’atteinte portée aux fonctions physiologiques de la victime (telle que la réduction du potentiel physique, psychosensorielle ou intellectuelle), qui demeure même après la consolidation.
- Souffrances endurées permanentes : ce poste de préjudice a pour objet l’indemnisation des souffrances physiques et psychiques, ressenties par la victime de façon permanente après la consolidation.
- Préjudice d’agrément : il vise à réparer la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence que la victime rencontre au quotidien après la consolidation ainsi que la gêne ou l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs.
Par un arrêt du 29 mars 2018, la Cour de cassation a considéré que pour invoquer le préjudice d’agrément, la limitation de l’activité sportive ou de loisirs peut suffire (2 civ, 29 mars 2018, n° 17-14.499).
- Préjudice esthétique permanent : ce poste de préjudice vise à indemniser les conséquences permanentes de l’altération de l’apparence physique de la victime. Ce poste de préjudice englobe les conséquences dommageables de l’apparence physique, notamment des hématomes, cicatrices, des troubles de la voix ou de l’élocution mais également des anomalies dans la démarche.
- Préjudice sexuel : il vise à réparer les préjudices touchant à la sphère sexuelle qui inclut le préjudice morphologique (atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires), le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir et le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer.
- Préjudice d’établissement : ce poste de préjudice cherche à indemniser la perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteinte la victime après sa consolidation.
La Cour de cassation a précisé qu’en cas de séparation ou de dissolution d’une précédente union, la victime peut invoquer le préjudice d’établissement même si elle a déjà pu, par le passé, réaliser un projet familial (Civ 2e, 4 juillet 2019, n°18-19.592).
En revanche, en l’absence de séparation ou de dissolution d’une précédente union, la Cour de cassation refuse d’indemniser la victime sur le fondement du préjudice d’établissement.
- Préjudices permanents exceptionnels : ce poste a pour objet d’indemniser, à titre exceptionnel, tel ou tel préjudice extrapatrimonial permanent, particulier et non indemnisable au titre d’un autre poste (ex : impossibilité physique d’accomplir des gestes strictement liés à sa culture).