17 Avr PREJUDICE D’ANGOISSE DE MORT IMMINENTE
Explications sur le préjudice d’angoisse de mort imminente, un préjudice récemment consacré
- Définition
Préjudice récent et complexe, il a été défini par la Cour d’appel d’AIX-EN-PROVENCE comme « la souffrance morale et psychologique liée à la conscience d’une mort imminente » et « suppose un état de conscience, et pendant un temps suffisant pour envisager sa propre fin » (CA d’AIX EN PROVENCE, 30 juin 2016, n°15/07185).
La Cour d’appel de DOUAI l’a défini comme « le préjudice résultant pour la victime, de la douleur engendrée par la conscience du caractère inéluctable de sa mort prochaine » (CA de DOUAI, 12 avril 2018, n°17/0363).
Le préjudice d’angoisse de mort imminente est donc constitué de la souffrance que vit la victime liée à la conscience de sa mort prochaine.
Ce préjudice est complexe car il nécessite une condition essentielle à sa démonstration, difficile à prouver.
- Condition d’existence de ce préjudice
Le préjudice d’angoisse de mort imminente peut résulter de faits très différents, tels qu’une attaque ou d’un accident notamment de la circulation.
La seule condition essentielle d’existence porte sur la conscience de la victime de sa mort prochaine.
La Cour de cassation a précisé cette condition à plusieurs reprises :
– « le choc traumatique a été si violent que M. X… est resté inconscient, qu’il n’a pu être réanimé et que son décès a été quasi-instantané ; que les juges en concluent que la victime n’a pu se rendre compte de ce qu’il lui arrivait et que sa souffrance morale n’est pas établie » (Cass.crim., 5 octobre 2010, n°09-87.385).
– « préjudice subi par la victime entre l’accident et son décès du fait de ses blessures et de l’angoisse d’une mort imminente, l’arrêt retient que l’agonie de la jeune fille a duré une dizaine de minutes et a été particulièrement pénible » (Cass.crim., 26 mars 2013, n°12-82.600).
La Cour de cassation retient ainsi une notion de temps écoulé entre les faits et le décès, et une notion de souffrance vécue durant ce laps de temps.
Un décès immédiat fait ainsi obstacle à la reconnaissance de ce préjudice, la victime n’a en effet pas le temps de se rendre compte qu’elle va décéder.
Cependant, si la victime reste en vie encore un certain temps après l’accident et vit des souffrances physiques et psychologiques importantes durant ce délai, le préjudice d’angoisse de mort imminente est reconnu.
- Quid de la victime dans le coma ?
La question a été posée, pour la victime se trouvant dans un état de coma avant son décès, de la conscience de sa mort prochaine.
La Cour de cassation a jugé que la conscience de la mort prochaine étant la condition essentielle de ce préjudice, la seule constatation de la violence des souffrances que la victime aurait pu subir ne suffit pas :
« n’ayant pas repris conscience, n’avait pas pu se rendre compte de la gravité de son état et de l’imminence de sa mort ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le préjudice d’angoisse de mort imminente ne peut exister que si la victime est consciente de son état, la cour d’appel a justifié sa décision » (Cass.crim., 27 septembre 2016, n°15-83.309), dans le cas d’un homme tombé dans le coma après son accident et pendant quelques heures, avant son décès sur la table d’opération.
- Préjudice autonome ?
La nomenclature Dintilhac prévoit parmi les postes de préjudices extrapatrimoniaux le préjudice des souffrances endurées, défini comme les souffrances tant physiques que morales endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, à sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions, hospitalisations qu’elle a subis depuis l’accident jusqu’à la consolidation.
Bien que cette nomenclature ne soit pas limitative, une divergence a existé durant de nombreuses années au sein des chambres de la Cour de cassation sur l’appartenance ou non de ce préjudice d’angoisse de mort imminente aux souffrances endurées.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation considérait en effet que le préjudice d’angoisse de mort imminente était un préjudice autonome, donnant ainsi lieu à une indemnisation spécifique :
« Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors que, sans procéder à une double indemnisation, elle a évalué séparément les préjudices distincts constitués par les souffrances endurées du fait des blessures et par l’angoisse d’une mort imminente » (Cass.crim., 23 octobre 2012, n°11-83.770).
Les Première et Deuxième chambres civiles de la Cour de cassation jugeaient au contraire que ce préjudice était intégré dans le préjudice lié aux souffrances endurées.
-« Mais attendu, d’une part, que, le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice des souffrances endurées, quelle que soit l’origine de ces souffrances, l’angoisse d’une mort imminente éprouvée par la victime ne peut justifier une indemnisation distincte qu’à la condition d’avoir été exclue de ce poste » (Cass., 1ère civ., 26 septembre 2019, n°18-20.924).
-« Qu’en statuant ainsi, alors que le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées, quelle que soit l’origine desdites souffrances, le préjudice lié à la conscience de sa mort prochaine, qualifié dans l’arrêt de préjudice d’angoisse de mort imminente, ne peut être indemnisé séparément » (Cass., 2ème civ., 2 février 2017, n°16-11.411).
La Chambre mixite de la Cour de cassation a cependant mis fin à ce débat par un arrêt du 25 mars 2022, désormais le préjudice d’angoisse de mort imminente est un préjudice autonome :
« C’est, dès lors, sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d’appel, tenue d’assurer la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime, a réparé, d’une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d’autre part, de façon autonome, l’angoisse d’une mort imminente » (Cass., chb. Mixte, 25 mars 2022, n°20-15.624).