31 Mar PRESCRIPTION / INFRACTIONS SEXUELLES
Suspension du délai de prescription en cas d’amnésie médicamenteuse et de minorité : une avancée jurisprudentielle majeure
La question de la prescription de l’action publique en matière d’infractions sexuelles soulève régulièrement des débats, notamment lorsque les victimes se trouvent dans l’incapacité d’agir en raison de circonstances exceptionnelles. La Cour de cassation, dans un arrêt du 21 juin 2023 (Crim. 21 juin 2023, F-B, n° 23-80.106), a apporté des précisions essentielles en reconnaissant que l’amnésie médicamenteuse provoquée par une anesthésie peut constituer un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, justifiant ainsi la suspension du délai de prescription de l’action publique.
Une affaire marquante : des infractions sexuelles commises sous anesthésie
L’affaire à l’origine de cet arrêt concernait un chirurgien soupçonné d’avoir commis plusieurs centaines d’infractions sexuelles sur des patients, dont certains étaient mineurs, au cours d’interventions médicales ou lors de phases périopératoires. Ces actes avaient été découverts à la suite de la saisie de documents en 2017, mettant en évidence des agressions sexuelles et viols perpétrés alors que les victimes étaient endormies ou sous l’effet de médications altérant leur conscience.
Mis en examen en 2020, le praticien a contesté la recevabilité de certaines poursuites, invoquant la prescription de l’action publique pour 85 faits. Le juge d’instruction et la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Rennes ont cependant considéré que la prescription n’était pas acquise pour plusieurs de ces faits, une décision confirmée en partie par la Cour de cassation.
L’amnésie médicamenteuse : un obstacle insurmontable justifiant la suspension du délai de prescription
L’un des arguments avancés par la défense était que l’absence de souvenir des victimes ne pouvait être considérée comme un obstacle insurmontable assimilable à la force majeure. Toutefois, la Cour de cassation a adopté une approche plus protectrice des victimes, estimant que l’amnésie médicamenteuse, résultant d’une anesthésie ou de prémédications, pouvait effectivement constituer un empêchement de fait à l’exercice de l’action publique.
Cette reconnaissance a une portée particulièrement importante, car elle ouvre la voie à la suspension du délai de prescription tant que la victime demeure dans l’incapacité matérielle de porter plainte ou d’avoir conscience des faits subis. Cela permet d’éviter qu’un prévenu ne puisse échapper à la justice en raison des effets d’une médication ayant supprimé la mémoire des victimes.
La question de la minorité des victimes
L’arrêt soulève également la question du départ du délai de prescription pour les victimes mineures. En droit français, la prescription des infractions sexuelles sur mineur ne commence à courir qu’à partir de la majorité de la victime. Cependant, le mis en examen a contesté cette disposition en affirmant que l’autorité qu’il exerçait en tant que médecin ne pouvait être assimilée à une autorité parentale ou à un contrôle direct sur les victimes. Il en déduisait que le délai de prescription aurait dû commencer à courir à la date des faits et non à la majorité des patients concernés.
La Cour de cassation a rejeté cet argument en confirmant que, conformément à la jurisprudence constante, le départ du délai de prescription est bien retardé jusqu’à la majorité des victimes mineures, garantissant ainsi une meilleure protection des enfants victimes d’abus sexuels.
Un renforcement des droits des victimes
Cet arrêt illustre la volonté des juridictions de mieux prendre en compte la situation des victimes d’infractions sexuelles en adaptant les règles de prescription à leur vulnérabilité. La reconnaissance de l’amnésie médicamenteuse comme un empêchement insurmontable renforce l’arsenal juridique permettant de lutter contre l’impunité des agresseurs.
Toutefois, cette décision soulève également des questions quant à sa mise en œuvre concrète. Comment établir avec certitude qu’une victime n’a pas eu conscience des faits subis pendant une longue période ? Quels critères objectifs pourront être retenus pour déterminer le moment à partir duquel la prescription peut commencer à courir ? Autant de questions qui devront être précisées par la jurisprudence future.
Conclusion
Par cet arrêt du 21 juin 2023, la Cour de cassation affirme une approche protectrice en matière de prescription des infractions sexuelles. La reconnaissance de l’amnésie médicamenteuse comme un obstacle insurmontable renforce les droits des victimes et permet de lutter plus efficacement contre l’impunité des auteurs d’agressions sexuelles. Il conviendra toutefois de suivre l’évolution de la jurisprudence pour s’assurer que cette décision ne donne pas lieu à des difficultés d’application et garantisse un juste équilibre entre les droits des victimes et ceux de la défense.